Investir autrement : mes choix immobiliers à l'épreuve de mes valeurs
Réflexions personnelles sur l'investissement et le système capitaliste
Cette newsletter est mon récit d'un changement de vie complet, fait à l'aube de mes quarante ans. Le journal d'une déconstruction progressive de tout ce que je pensais être "la norme" : le salariat, la montée dans la hiérarchie, le management d’une grande équipe, travailler dur mais consommer beaucoup, et se dire qu'on profitera quand viendra la retraite.
J’ai aujourd’hui une vie simple avec plusieurs activités, qui m’occupent quelques heures par semaine : une marque regroupant des gîtes touristiques dans ma ville, un e-commerce de décoration intérieure et l’écriture de cette newsletter.
Vous êtes plus de 200 à me lire et c’est fou. Substack est définitivement une belle plateforme pour être lue. J’ai demandé dans le chat ce que vous aimeriez lire ici à l’avenir. Votre avis est précieux. Merci !
Je suis vue par certains comme un monstre du capitalisme, propriétaire de locataires qui eux ne le sont pas, possédant plus d'immobilier qu'il n'en faut pour vivre, tout en prônant une vie simple, alors que je possède beaucoup.
À chaque fois que je lis ces retours, je me dis que je comprends, et que je ne suis finalement pas obligée de partager ici ce que je possède. Mais ce serait mentir.
Je veux expliquer ici qu’il y a d’autres chemins possibles, et qu’il faut apprendre à investir pour pouvoir avoir la liberté de les découvrir.
Je ne suis pas là pour dire que mon chemin est meilleur qu'un autre.
Je peux juste le partager.
Et je crois avant tout qu'il est important d'être aligné avec ses valeurs ET d’apprendre à jouer avec les règles de notre monde (capitaliste) actuel.
L'épargne, ce grand oublié
J'ai compris il y a peu comment j'aurais pu faire autrement pour obtenir ma vie actuelle : en mettant de l'argent de côté chaque mois dès ma première paie il y a vingt ans.
J'aurais économisé et placé mon argent, par exemple sur le S&P500 au sein d'une assurance vie. En 25 ans, il a fait x5 et la performance annuelle moyenne depuis 95 ans est de +11%.
Sauf que je n'avais aucune éducation financière et les ETF qui permettent d'investir simplement n'existaient pas encore.
Donc je n'ai rien mis de côté, je n'y voyais pas d'intérêt et je me suis consacrée à mon travail et à évoluer.
Après tout, je cotise chaque mois pour la retraite, non ?
L'immobilier, mon accélérateur de vie
Et puis, pour plein de raisons que j'évoque dans mes premiers articles, j'ai choisi de prendre un accélérateur à l'aube de mes 40 ans en investissant en immobilier locatif, grâce à des emprunts et en me reposant sur le fait que les loyers vont permettre de rembourser les mensualités des prêts.
Mon patrimoine se constitue maintenant chaque mois grâce à mes locataires, sans effort particulier de ma part. Faire ce choix met à mal les valeurs de certains, mais pas les miennes.
Je parle ici de l’immobilier locatif « classique », des appartements que je loue en Nu (sans meuble) ou en meublé. J’en possède certains avec mon conjoint et d’autres avec ma famille (parents, soeur et frère). Ceux avec ma famille permettent d’améliorer la retraite de mes parents. Ces logements ne me créent quasi aucune charges de travail, mais je n’en tire aussi aucun salaire. Il s’agit d’un patrimoine qui grandit.
Je n’aborde pas les autres, qui sont des gîtes de tourisme, réunis sous une marque. Il s’agit d’une activité commerciale, de vente de services. Et cela me crée du travail, qui me permet d’avoir un salaire.
Objectif 8 000 euros : un chiffre raisonnable ?
Quand nous nous sommes lancés, j’ai projeté un objectif de 8 000 euros de loyers.
Cela peut sembler énorme comme montant.
Mais nous sommes deux. Et c’est une somme que nous aurons dans 25 ans.
Et il y a l'inflation.
L'inflation, c'est quand les prix des biens et des services que nous achetons augmentent avec le temps. Imaginez que l'année dernière, avec 100€, vous pouviez acheter un panier rempli de courses. Mais cette année, pour acheter exactement les mêmes produits, vous devez dépenser 105€. C'est ça, l'inflation : une hausse générale des prix.
Pourquoi est-ce important ? Parce que si les prix augmentent mais que si votre salaire ou vos économies n'augmentent pas au même rythme, vous perdez en pouvoir d'achat.
C'est pour cela qu'il est important de prendre en compte l'inflation quand on épargne ou quand on investit. Si le taux d'intérêt de votre livret d'épargne est inférieur au taux d'inflation, cela signifie qu'en réalité, votre argent perd de la valeur chaque année, même s'il augmente en chiffres.
Il ne faut pas raisonner en montant mais en pouvoir d'achat.
Comment vais-je vivre avec cette somme dans 25 ans quand les prêts seront remboursés ?
Eh bien, je ne sais pas, mais si je regarde le passé, je vais probablement perdre 30% en pouvoir d'achat. Donc cela me donnera quelque chose autour de 2 500 / 3 000 euros par mois pour chacun en pouvoir d'achat de 2024.
Le pouvoir d'achat de 8 000 euros en 2023 est le même que celui de 5 760,11 euros en 2003.
Ce montant ne me semble pas extravagant quand je regarde le tarif des Ehpad et autres logements pour senior. 85% des établissements publics sont d'ailleurs en quasi-faillite, donc cela n'augure rien de bon pour la suite.
Une chose mérite d’être ajoutée : je n’ai pas d’enfants. Donc dans mes vieilles années, je ne pourrai compter que sur moi-même et un ensemble de services pour m’aider.
Un investissement qui a changé ma vie
À ce moment-là, quand nous avons signé les compromis pour ces achats, je ne savais pas :
que le Covid allait arriver dans les six mois
que cela allait me faire prendre conscience de mon non-alignement avec mon job salarié
que j'allais démissionner et partir en province
Je n'avais alors pas pour but de ralentir dans ma vie active. Mais investir comme je l'avais fait m'a donné la possibilité de le faire.
S'éduquer financièrement pour investir vous donnera la plus grande richesse : le choix et la liberté.
L'éducation financière en France : le grand absent
Arriver à 39 ans avec quasiment aucune connaissance financière n'est pas un hasard.
En France, nous avons une mauvaise éducation financière.
- Selon une étude OCDE de 2020, la France se classe 15e sur 26 pays pour la culture financière des adultes. Et avant nous, il y a Hong Kong, la Slovénie, l'Autriche, l'Allemagne, l'Estonie, la Finlande, le Portugal, la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Corée du Sud, la Moldavie, la Géorgie et la Russie. Ce classement est basé sur un score combinant des connaissances, des comportements et des attitudes en matière financière.
- Une enquête Ipsos de 2021 (commandée par la Banque de France et mentionnée dans plusieurs articles de presse) révèle que 77% des Français estiment ne pas avoir reçu d'éducation financière suffisante.
- Une étude S&P Global de 2014 montrait que seulement 52% des adultes français étaient considérés comme "financièrement alphabétisés".
Pourquoi ce résultat ?
Les causes sont multiples :
1. Notre système éducatif : L'éducation financière n'est pas une priorité dans les programmes scolaires. Elle est même inexistante. J'ai une spécialité Économie au bac et j'ai fait une école de commerce, et je n'ai rien appris qui s'en rapproche.
2. Notre tabou culturel : Parler d'argent est souvent considéré comme impoli en France. Expliquer comment j'ai investi en immobilier va donner une crise d'urticaire à certaines personnes, d'autres vont trouver ça génial. Le sujet est clivant, il y a rarement du désintérêt.
3. Notre système social fort : Il peut réduire la perception du besoin de planification financière personnelle. En fait, on compte sur l'État pour notre retraite par exemple. Et c'est logique. À date, l'État a mis en place une cotisation pour cela. Mais imaginez demain que ce système s'effondre et n'existe plus.
4. La complexité du système fiscal : cela peut décourager l'engagement dans la gestion financière. C'est certain, l'empilement de lois fait que cela devient incompréhensible.
5. L'aversion au risque : nous avons tendance à préférer l'épargne sécurisée aux investissements, avec des records placés dans le Livret A. Or, le rendement du Livret A est en dessous de l'inflation. Donc vos euros épargnés perdent en pouvoir d'achat au fil des années.
6. Le peu d'exposition aux marchés financiers, ou du moins de fortes barrières à l'entrée. Les réglementations font que les entités sur ce secteur doivent s'assurer d'un niveau de connaissance minimum, ce qui est un frein quand justement on n'en a pas. Et qui va nous les donner ? Pas notre banquier, pas notre comptable si on est indépendant, encore moins notre patron, et pas non plus le journal télévisé. Depuis que je m'y intéresse, j'ai lu la presse spécialisée française et j'ai trouvé que (comme toute la presse) le fait qu'elle vive grâce aux publicités fait qu'elle ne montre pas assez ce qu'il ne faut pas faire. Ceux qui achètent de la publicité dans leurs pages sont ceux qui gagnent beaucoup d'argent grâce à des placements qui ne sont pas les meilleurs pour nous.
Ces facteurs combinés contribuent à créer un environnement où l'éducation financière n'est pas suffisamment valorisée ou enseignée.
Mais elle l’est bien davantage lorsque les parents ont eux-même eu cette éducation et le transmettent naturellement à leurs enfants.
Les parents peuvent jouer un rôle important dans la promotion de la culture financière de leurs enfants, par exemple en leur donnant de l'argent de poche, en leur parlant de l'argent et en leur montrant comment faire des choix financiers. Les élèves qui ont reçu une éducation financière de leurs parents affichent un niveau de culture financière plus élevé que les élèves dont les parents ne l'ont pas fait.
OCDE (2020), PISA 2018 Results (Volume IV): Are Students Smart about Money?, PISA, OECD Publishing, Paris
Un rêve d'une société plus juste
Pour en revenir à l'immobilier, j'aimerais vivre dans une société où chacun puisse, lorsqu'il quitte la maison familiale, avoir accès à un logement gratuit avec tout l'équipement minimal. Qu'on change le fonctionnement de la fourniture d'eau et d'électricité en donnant à chacun un quota gratuit (et ensuite si tu consommes davantage, tu payes).
Je ne crois pas que cela créera un monde d'assistés, mais un monde décent.
Est-ce que je fais partie d'un problème ? Oui.
Est-ce que je veux aggraver ce problème ? Non.
Je pourrais décider de poursuivre la croissance de mon patrimoine, chercher un nouveau CDI bien payé pour gagner encore plus, continuer à acheter de l'immobilier en montrant au banquier que je sais gérer l'existant, et accumuler, sans limite.
Mais j'ai choisi de ne pas le faire.
Et je veux aider en expliquant et en partageant ce que j'ai appris.
Mes valeurs, ma boussole
Qu'est-ce que cela dit de moi ?
Aucune idée, je ne peux pas me voir à travers d'autres yeux.
Et chacun a son propre système de valeurs et de croyances.
Mais je constate que mes choix peuvent susciter un débat, ou un rejet.
En tout cas, ce que je sais, c'est que je suis très alignée avec mes valeurs.
J'écoute des investisseurs immobiliers, en podcast notamment.
Et pour ma part, ce que je ne veux pas, c'est le toujours plus.
Ils achètent, ils revendent.
Ils tirent les négociations au plus bas possible, ils limitent les coûts au maximum.
N'installent que le minimum obligatoire dans leurs logements.
Ils en ont le droit, mais ce n'est pas dans mes valeurs.
Je veux pour moi de la modération, mais aussi je veux fournir des logements confortables et bien équipés.
Déjà parce que c'est important à mes yeux, mais aussi parce que je pense que c'est bénéfique pour le locataire et moi : les logements sont loués rapidement, et les gens restent. Dès qu'une réparation est à faire, nous faisons intervenir un professionnel. C'est important pour moi, le locataire est satisfait et cela permet aussi que le logement ne se dégrade pas dans le temps.
Une de mes valeurs centrales est de ne pas faire à quelqu'un ce que je ne veux pas qu'on me fasse.
Donc si je meuble un appartement, je le fais avec de la qualité. Je vais le repeindre, changer la cuisine pour mettre plaques, frigo. J'installe une télé et une machine à laver, même si je n'en ai pas l'obligation. Ce n’est pas économiquement le plus rentable, mais ce n’est pas ce que je recherche.
La crise du logement : un problème complexe
J'ai eu l'occasion de croiser des « marchands de sommeil », propriétaires peu scrupuleux qui louent des taudis, à des personnes qui n'ont pas le choix.
La crise du logement est terrible. Le combo « pénurie de logement » et « taux d'intérêt bas » a eu un effet dévastateur sur les prix de l'immobilier. La niche fiscale dite « LMNP » (loueur meublé non professionnel) a déstabilisé encore plus le marché. Il y a aujourd'hui trop de meublés de tourisme, et il y a autant de logements vacants.
Pour l'expliquer autrement, il est très désavantageux de louer en Nu (sans meuble) qu'en meublé actuellement. Les logements Nus sont les moins chers et sont généralement les logements les plus grands (plusieurs chambres), car une famille va arriver avec ses meubles. La fiscalité si vous l'achetez en nom propre (et pas en société) fera que vous perdrez de l'argent chaque année dans la majorité des cas. Si en plus, on ajoute la phobie des squatteurs et la difficulté à comprendre comment déclarer ses impôts, nous arrivons à un système dans lequel beaucoup vont préférer laisser vide un logement qui pourrait être loué.
Je n'ai pas de baguette magique pour la crise du logement, mais je sais que si je devais proposer un choix fiscal, j'inciterais les propriétaires de logements vacants à louer ou à vendre.
Des choix assumés, mais pas un modèle
Mais j'ai conscience que je participe à un problème et je ne prône pas qu'il faut faire comme moi. Cependant, je propose des logements décents, que j’ai rénové, et je suis à l'écoute de mes locataires.
Et je trouve dommage ce fossé entre propriétaire et locataire.
Cette vision qu'un propriétaire exploite un locataire car c'est le locataire qui l'enrichit.
Mais c'est une réalité cruelle si ce locataire n'a aucune chance de devenir propriétaire à son tour.
Et dans les grandes villes, cela devient le cas pour une trop large partie de la population.
Peut-être que ce discours est stressant, mais j'ai du mal à me taire.
Peut-être qu'il est trop catastrophique, et que je me trompe.
Mais est-ce que je referais ce que j'ai fait maintenant, 5 ans après ?
Je me suis souvent demandé quel aurait été l'impact de la crise covid sur mon envie d'investir si j'avais décalé mes projets d'un an. Je pense que j'aurais eu plus de difficultés à le faire, effrayée par les discours de crise.
Mon chemin de vie est le résultat de préparations, d'efforts, mais aussi de chances et de bons timings. C'est certain.
Je fais partie d'un faible pourcentage de privilégiés.
Est-ce que cela doit m'empêcher de partager mes apprentissages et connaissances ? Non.
Est-ce que vous pouvez aussi vous préparer et faire des efforts ? Oui.
À bientôt ?
Tiffany
Votre article est particulièrement intéressant et me parle tellement ! Je n’ai aucune éducation financière (alors que mon père était banquier 😅). Je n’ai jamais investi, seulement mis « de l’argent de côté » sur un livret A et qui me sert surtout à gérer les coups durs plus qu’à préparer la suite et j’ai attendu d’avoir 40 ans pour faire un crédit auto parce que j’avais toujours vu mon père payer cash … J’ai 51 ans, je peine à me remettre d’un très gros burn-out (femme célibataire accro à son travail, besoin de prouver toujours plus dans un environnement professionnel technique et masculin et aussi désir de gagner plus pour se construire un avenir meilleur). Et voilà le résultat 🤪
J’ai déconstruit beaucoup de choses depuis mon BO et compris que la vie ne se trouvait pas dans la carrière et le salaire. Cependant il me reste à apprendre comment encore mieux gérer mon argent au quotidien et surtout comment le placer alors que mon revenu est juste super réduit et ne me laisse pas de latitude / marge d’erreur … Comment investir quand on est limité dans ses ressources ? Comment / par quoi commencer … ?